Le retournement de la conjoncture est certain et sera violent. Les mécanismes de diffusion sont de trois ordres.
La hausse des prix provoque une chasse aux coûts
Le premier, le plus immédiat, passe par la courroie de la hausse des prix. La persistance de
l’inflation à un niveau élevé a déjà porté un rude coup au pouvoir d’achat des salariés, dont les rémunérations ne suivent pas. Une fois ôtée l’augmentation des prix à la consommation, le salaire
mensuel de base était en baisse de 3% fin juin, ce recul s’accentuant sans espoir d’inversion de tendance à court terme.
Les secteurs les plus fortement arrimés au pouvoir d’achat des ménages sont donc mécaniquement
aux avant-postes de la récession qui se dessine. Avec les services aux ménages, l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail est en première ligne. Le climat des affaires s’y est déjà
assombri pour tomber en dessous de sa moyenne de long terme et bien en deçà du climat général.
Pour les fournisseurs, cela va très vite se traduire par une chute des volumes commandés. Le
solde d’opinions des commerçants concernant leurs intentions de commandes pour les prochains mois est retombé à son plus bas niveau depuis novembre 2020, c’est-à-dire au milieu du deuxième
confinement. La pression sera donc de mise sur les volumes, sur les tarifs des fournisseurs aussi.
Les attaques sur le revenu rendent les ménages ultra-sensibles aux prix d’autant que
l’inflation se positionne sur de gros postes de dépenses difficiles à arbitrer : énergie, alimentaire, logement. La chasse aux petits prix est donc ouverte et l’avantage va aux distributeurs qui
bénéficient d’une bonne image-prix, notamment les discounteurs. L’industrie agro-alimentaire se retrouve ainsi prise en étau entre la hausse du coût des matières agricoles et la pression mise par
la distribution. L’habillement, l’équipement du logement font aussi partie du lot. Réduction des volumes, pression sur les prix, les fournisseurs s’ajustent en réduisant à leur tour leurs achats
et en mettant la pression sur les sous-traitants en amont de la filière qui eux-mêmes mettent la pression sur leurs propres fournisseurs.
De proche en proche, c’est une grande partie du tissu économique qui est impacté, y compris
les services BtoB, même si certains d’entre eux, portés par l’hyper moteur du numérique, semblent étanches à la conjoncture générale. Mais une autre chasse est ouverte, la chasse aux coûts, et
comme à chaque crise, la publicité, le marketing, la communication, les études de marché figurent parmi les premières lignes budgétaires dans le viseur.
Remontée des taux : des effets sur les charges financières et sur
l’immobilier/construction
Le deuxième mécanisme à diffusion un peu plus lente est lié aux conséquences de la hausse
des taux. Partie des États-Unis, l’onde de choc du resserrement monétaire s’est propagée et la BCE lui a emboîté le
pas.
Les taux courts remontent. Encore négatif en juillet dernier, l’Euribor 3 mois, taux d’emprunt
de référence sur lequel sont indexés les prêts à taux variables des sociétés s’est envolé. Autant dire que les charges financières vont considérablement s’alourdir et siphonner les marges. Ce
n’est évidemment pas bon pour l’investissement, donc pour les secteurs composant le vaste ensemble des biens d’équipement.
La remontée des taux longs concerne plus particulièrement l’immobilier, la construction neuve
notamment. Dans la promotion immobilière, la Bérézina est annoncée pour 2023. Les réservations totales sur trois mois ont décroché au 2e trimestre par rapport au même trimestre de 2021. Les
ventes en blocs souvent réalisées par les gros investisseurs privés comme les banques ou les assureurs où les bailleurs sociaux se sont notamment effondrés. C’est à peine mieux du côté des
ménages, les ventes aux particuliers investisseurs sont particulièrement touchées. Quant aux ventes en accession, si elles résistent mieux, elles sont aussi en fort recul.
Le ton est donné, la construction neuve va dévisser. Or, c’est une filière au puissant pouvoir
d’entraînement. La branche des matériaux de construction lui est ainsi totalement dédiée avec les travaux publics tout comme celle des engins de chantier. Toujours en amont, il faut ajouter les
cabinets d’architectes, d’ingénieurs qui interviennent dans la conception des bâtiments. Autre élément à ne pas négliger, l’ensemble des acteurs qui participent au financement, l’acquisition d’un logement, par exemple, donne
lieu le plus souvent au déclenchement d’un crédit, le recours à des courtiers et la souscription d’une assurance.
La crise énergétique favorise la désindustrialisation
En créant un handicap de
compétitivité industrielle, la crise énergétique fait planer la menace d’une nouvelle vague de désindustrialisation. C’est la troisième courroie de transmission. La France n’est pas la seule
concernée, c’est toute l’Europe. Il faudra en effet plusieurs années à l’UE pour compenser la disparition du gaz russe. Pendant cette période, les prix du gaz et de l’électricité y resteront
nettement plus élevés que dans le reste du monde. Cela ronge la rentabilité des secteurs « énergo intensifs » comme le raffinage, la chimie, la pharma, les IAA, la filière « bois papier carton »
ou la métallurgie. Les producteurs de l’amont vont être contraints de produire ailleurs. En aval, les entreprises recourront à des substitutions par des imports.
De fil en aiguille c’est la quasi-totalité de la base productive qui va être impactée. Le spectre d’une crise longue guette la France.